L'Éternel Dieu dit: Il n'est pas bon que l'homme soit seul; je lui ferai une aide semblable à lui. (Genèse 2 :18)
L’interprétation classique de ce passage de la Genèse, comme de nombreux passages traitant de l’amour, est généralement attribuée aux relations de couples. Il me semble que l’on oublie souvent que la réponse de Dieu à la solitude de l’homme n’est pas uniquement de lui procurer une semblable, mais aussi une famille, puis une communauté. Dans un mariage auquel j’ai assisté récemment, le célébrant a prononcé des mots très rafraichissants : « il n’est pas bon que le couple soit seul », a-t-il insisté, « c’est pourquoi Dieu leur a donné la communauté ».
Je pourrais arrêter d’écrire immédiatement et il me semble que ce serait déjà bon pour aujourd’hui. Par ailleurs, dans un contexte où l’on insiste souvent sur la réalisation « de notre plein bonheur» à travers le couple, je me sens poussé à continuer tout de même ma réflexion. Bien que ce ne soit pas toujours manifeste, il me semble que la doctrine chrétienne est souvent laissée pour compte face à l’amour romantique. Nous affirmons que l’amour ne cherche pas son propre intérêt (1 Cor. 13 :5); puis du revers de la main, nous appuyons cette idée d’accomplissement personnel par le couple et la recherche du partenaire idéal. Certes, une telle ironie ne serait pas totalement incompatible dans un paradigme où l'on sous-entendrait que le bonheur est intrinsèquement relié au renoncement à soi. En contrepartie, il semble que l’éloge des sentiments romantiques dans une religion qui prône la capitulation, le sacrifice et la charité pose un certain malaise. Suffit-il d’ajouter bêtement : « bien sûr, je sais que l’amour est un renoncement à moi-même et à mes propres intérêts, mais...» ?
En fait, je crois qu’il y a des gens heureux et des gens malheureux, peu importe leur état. Bien évidemment, il y a beaucoup de joies reliées au fait de vivre une relation amoureuse. Je crois toutefois qu'un bon nombre de discours perpétués sur ce sujet alimente un état d'insatisfaction dans le célibat ou encore de déception dans le mariage. Au lieu de renchérir sur l’effet pervers du romantisme, je souhaite relancer la discussion sur le grand oublié des discours sur les relations : l’amitié.
L’amitié est le plus grand bien sur cette terre. Certainement, elle est pour moi le point culminant de la joie de vivre. Si j’avais à donner un conseil à un jeune homme cherchant un endroit où s’installer, je lui dirais d’habiter là où il peut être le plus près de ses amis. (C.S. Lewis, The Collected Letters, vol. 2)
L’amitié n’est pas un prix de consolation en attendant d’être en couple. Nous avons trop à apprendre des autres autour de nous pour que l’ouverture, l’intimité et la vulnérabilité ne soient réservées qu’aux relations amoureuses. L’œuvre de C.S. Lewis (enfin, la portion que j’ai eu la chance de lire jusqu’à maintenant) regorge d’images et de réflexions sur l’amitié. Je me souviens d’une période de ma vie où l’idée de trouver des gens qui ont le même désir que moi de partager des relations authentiques, transparentes et chaleureuses était d’un ressort quasi existentiel. "J'ai toujours cru que la pire chose au monde était de finir sa vie tout seul. C'est faux. La pire chose au monde est de finir sa vie avec des gens qui vous font vous sentir seuls" (Robin Williams). Je crois cependant que la foi chrétienne nous amène bien plus loin que vers des amitiés qui nous font sentir simplement « entouré ».
« Les amoureux sont en général face à face, absorbés l'un par l'autre; les amis sont côte à côte, absorbés dans un intérêt qui leur est commun. C’est pourquoi il est pathétique de simplement « vouloir des amis », ces personnes n’en ont d’ailleurs jamais. Le simple fait d’avoir des amis découle d’un désir pour quelque chose d’autre que simplement l’amitié. Lorsque la réponse donnée à la question : « Vois tu la même vérité que moi ? » serait « Je ne vois rien et je me souci peu de cette vérité ; je veux seulement un ami » aucune amitié ne peut prendre naissance- bien qu’une affection puisse s’installer. L’amitié doit absolument porter sur un objet, ne serait-ce qu’un intérêt pour les dominos ou les souris blanches. Ceux qui n’ont rien ne peuvent rien partager ; ceux qui ne vont nulle part ne peuvent pas avoir de compagnons de voyage. » (C.S. Lewis, The Four Loves)
Lewis précise que l’amitié repose sur une quête commune: on s’émerveille de rencontrer quelqu’un sur la route où l’on se croyait seul. Le plus nous gardons les yeux fixés sur cette quête que nous entrevoyons à l’horizon, le plus nous sommes prêts à nous montrer tels que nous sommes, à dévoiler nos pensées intimes dans l’espoir qu’un nouvel essor se produise par la contribution honnête d’un véritable ami. Un monde nouveau s’ouvre dans lequel les sujets sont discutés comme tels et les opinions pesées sans crainte pour l’ego, car vouloir « avoir raison » devient une embûche à atteindre la vérité que nous entrevoyons. Les désaccords et les débats sont alors propices à générer un sens bonifié, comme le fer aiguise le fer, sans lutte de pouvoir mais comme des hommes libres et égaux ; des frères d’armes partageant la connivence impénétrable d’une sombre énigme enfin résolue. Jésus est le chemin, la vérité et la vie (Jean 14 :6). Poursuivons donc notre route dans le sentier qu’il nous offre par sa grâce et sa providence (Actes 2 :28) sachant que nous sommes déjà plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés (Romains 8 :37).
L’amitié, à l’instar de l’art et de la philosophie, n’est pas nécessaire… elle n’a pas de valeur en terme de survie ; c’est plutôt une de ces choses qui donne de la valeur à la survie. (C.S. Lewis, The Four Loves)
L’interprétation classique de ce passage de la Genèse, comme de nombreux passages traitant de l’amour, est généralement attribuée aux relations de couples. Il me semble que l’on oublie souvent que la réponse de Dieu à la solitude de l’homme n’est pas uniquement de lui procurer une semblable, mais aussi une famille, puis une communauté. Dans un mariage auquel j’ai assisté récemment, le célébrant a prononcé des mots très rafraichissants : « il n’est pas bon que le couple soit seul », a-t-il insisté, « c’est pourquoi Dieu leur a donné la communauté ».
Je pourrais arrêter d’écrire immédiatement et il me semble que ce serait déjà bon pour aujourd’hui. Par ailleurs, dans un contexte où l’on insiste souvent sur la réalisation « de notre plein bonheur» à travers le couple, je me sens poussé à continuer tout de même ma réflexion. Bien que ce ne soit pas toujours manifeste, il me semble que la doctrine chrétienne est souvent laissée pour compte face à l’amour romantique. Nous affirmons que l’amour ne cherche pas son propre intérêt (1 Cor. 13 :5); puis du revers de la main, nous appuyons cette idée d’accomplissement personnel par le couple et la recherche du partenaire idéal. Certes, une telle ironie ne serait pas totalement incompatible dans un paradigme où l'on sous-entendrait que le bonheur est intrinsèquement relié au renoncement à soi. En contrepartie, il semble que l’éloge des sentiments romantiques dans une religion qui prône la capitulation, le sacrifice et la charité pose un certain malaise. Suffit-il d’ajouter bêtement : « bien sûr, je sais que l’amour est un renoncement à moi-même et à mes propres intérêts, mais...» ?
En fait, je crois qu’il y a des gens heureux et des gens malheureux, peu importe leur état. Bien évidemment, il y a beaucoup de joies reliées au fait de vivre une relation amoureuse. Je crois toutefois qu'un bon nombre de discours perpétués sur ce sujet alimente un état d'insatisfaction dans le célibat ou encore de déception dans le mariage. Au lieu de renchérir sur l’effet pervers du romantisme, je souhaite relancer la discussion sur le grand oublié des discours sur les relations : l’amitié.
L’amitié est le plus grand bien sur cette terre. Certainement, elle est pour moi le point culminant de la joie de vivre. Si j’avais à donner un conseil à un jeune homme cherchant un endroit où s’installer, je lui dirais d’habiter là où il peut être le plus près de ses amis. (C.S. Lewis, The Collected Letters, vol. 2)
L’amitié n’est pas un prix de consolation en attendant d’être en couple. Nous avons trop à apprendre des autres autour de nous pour que l’ouverture, l’intimité et la vulnérabilité ne soient réservées qu’aux relations amoureuses. L’œuvre de C.S. Lewis (enfin, la portion que j’ai eu la chance de lire jusqu’à maintenant) regorge d’images et de réflexions sur l’amitié. Je me souviens d’une période de ma vie où l’idée de trouver des gens qui ont le même désir que moi de partager des relations authentiques, transparentes et chaleureuses était d’un ressort quasi existentiel. "J'ai toujours cru que la pire chose au monde était de finir sa vie tout seul. C'est faux. La pire chose au monde est de finir sa vie avec des gens qui vous font vous sentir seuls" (Robin Williams). Je crois cependant que la foi chrétienne nous amène bien plus loin que vers des amitiés qui nous font sentir simplement « entouré ».
« Les amoureux sont en général face à face, absorbés l'un par l'autre; les amis sont côte à côte, absorbés dans un intérêt qui leur est commun. C’est pourquoi il est pathétique de simplement « vouloir des amis », ces personnes n’en ont d’ailleurs jamais. Le simple fait d’avoir des amis découle d’un désir pour quelque chose d’autre que simplement l’amitié. Lorsque la réponse donnée à la question : « Vois tu la même vérité que moi ? » serait « Je ne vois rien et je me souci peu de cette vérité ; je veux seulement un ami » aucune amitié ne peut prendre naissance- bien qu’une affection puisse s’installer. L’amitié doit absolument porter sur un objet, ne serait-ce qu’un intérêt pour les dominos ou les souris blanches. Ceux qui n’ont rien ne peuvent rien partager ; ceux qui ne vont nulle part ne peuvent pas avoir de compagnons de voyage. » (C.S. Lewis, The Four Loves)
Lewis précise que l’amitié repose sur une quête commune: on s’émerveille de rencontrer quelqu’un sur la route où l’on se croyait seul. Le plus nous gardons les yeux fixés sur cette quête que nous entrevoyons à l’horizon, le plus nous sommes prêts à nous montrer tels que nous sommes, à dévoiler nos pensées intimes dans l’espoir qu’un nouvel essor se produise par la contribution honnête d’un véritable ami. Un monde nouveau s’ouvre dans lequel les sujets sont discutés comme tels et les opinions pesées sans crainte pour l’ego, car vouloir « avoir raison » devient une embûche à atteindre la vérité que nous entrevoyons. Les désaccords et les débats sont alors propices à générer un sens bonifié, comme le fer aiguise le fer, sans lutte de pouvoir mais comme des hommes libres et égaux ; des frères d’armes partageant la connivence impénétrable d’une sombre énigme enfin résolue. Jésus est le chemin, la vérité et la vie (Jean 14 :6). Poursuivons donc notre route dans le sentier qu’il nous offre par sa grâce et sa providence (Actes 2 :28) sachant que nous sommes déjà plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés (Romains 8 :37).
L’amitié, à l’instar de l’art et de la philosophie, n’est pas nécessaire… elle n’a pas de valeur en terme de survie ; c’est plutôt une de ces choses qui donne de la valeur à la survie. (C.S. Lewis, The Four Loves)